dimanche 19 février 2012

Embodying Utopia


Billet de Thomas Mogharaei


Embodying Utopia - David A. Palmer


Depuis la période républicaine, des centaines de millions d’individus ont pratiqué les gymnastiques du Qigong. Des centaines de maîtres autoproclamés ont permis de transmettre son savoir et ainsi de répandre la pratique à travers le territoire chinois. À travers cet article, son auteur David A. Palmer tente de démontrer la consubstantialité des expériences subjectives au contexte macrosocial. Pour appuyer son explication, il s’appuie sur le charisme, autrement dit le type de « pouvoir » ou de relation exercé par le maître sur les adeptes. Plus précisément, le charisme est défini par l’auteur comme la capacité d’un maître à répondre aux expectatives miraculeuses d’un peuple. L’auteur distingue à l’intérieur de ce charisme trois caractéristiques : la correspondance aux attentes d’un peuple, l’affecte qui lie le maître à l’adepte, enfin la responsabilité du maître vis-à-vis d’eux. D’après l’auteur, ces différentes approches partagent une caractéristique : leur instabilité, leur mouvement. C’est à travers une focale particulière, celle de cette tentation de l’individu à vouloir l’extraordinaire, que l’auteur s’engage à décrire différentes imbrications relatives à un contexte (historique, social, scientifique, etc.). 

Dans une partie de l’article, l’auteur tente de décrire son expérience personnelle du Qigong, expérience qu’il a partagée avec certains collègues professeurs chinois. Très vite, il explique que l’expérience de son collègue était différente, car, pour ce dernier, la pratique du Qigong était une réponse nouvelle dans un pays où toujours les mœurs avaient été très encadrées. C’était aussi une manière d’appréhender la modernité qui, arrivée très vite en Chine, avait bouleversé de nombreuses traditions. La perte de repère était aussi une ouverture nouvelle, et le Qigong une tentation à la provocation pour aborder ce nouveau monde des possibles. Se livrant totalement au jeu de l’expérience, il avoue avoir partagé un certain nombre de sensations physiques extraordinaires. Troublé par son expérience, il avoue avoir pris peur devant la potentialité infinie accordée au corps ; l’ego de chacun devenant ainsi démesuré. David Palmer a ensuite préféré arrêter cette expérience. Son ami s’est en revanche pris au jeu jusqu’à tenter de devenir un maître, ce à quoi il a échoué. 
La Chine était d’après l’auteur un terrain idéal pour le développement du mouvement, pris entre les traditions mystiques et les interdictions de la religion. Le pouvoir à travers l’expérience corporelle était une autre raison de ce succès. D’une part, les pratiques créaient un lien fort entre le maître et ses adeptes sujets de ces nouvelles expériences. Ensuite, les meilleurs maîtres ont eu le talent de rendre cette mystique accessible au plus grand nombre : le phénomène de massification. L’ampleur du mouvement doit aussi à la rationalité relative de la pratique qui, entre science et religion (interdite !), proposait une voie nouvelle pour atteindre l’extraordinaire. Une voie où la science n’avait pas les moyens de contredire définitivement la réalité des expériences corporelles. Pour expliquer la continuité relative de la croyance, Palmer reprend quatre idiomes définis par Gossaert : (1) la mystique de la guérison, (2) un certain niveau de connaissance et de respect des maîtres qui donnait à l’expérience un caractère scientifique, (3) un lien continu avec la tradition, (4) une attitude morale des maîtres en apparence vertueuse et exemplaire. 
Dans les années 1980/90 le Qigong compte environ cent millions d’adeptes : c’est le plus important mouvement social culturel et religieux de la période post-Mao. L’auteur veut mettre en relief l’effort des maîtres pour adopter des techniques conduisant au phénomène de massification. Outre la tendance à être assimilé aux médecines chinoises traditionnelles, le Qigong a en plus été présenté et compris comme potentiellement scientifique, entrant ainsi totalement dans la modernité. Ce qui est important aux yeux de l’auteur, c’est la place transitoire qu’a su se donner le Qigong, répondant successivement aux aspirations du peuple pour l’extraordinaire, pour la science ou pour un discours plus moralisateur. Après 1999, les répressions du gouvernement à l’encontre du mouvement ont provoqué l’émigration des grands maîtres à l’étranger, ce qui a donné naissance à de nouvelles bases de développement pour le mouvement. 
L’entonnoir se referme finalement sur trois tendances : la banalisation, le fondamentalisme et la tradition. Par la banalisation des pratiques, leur répétition comme habitude, le Qigong s’est ouvert la voie commerciale et a su être profitable. Par le fondamentalisme de certaines pratiques, par exemple dans le Falungong, le mouvement sut donner aux puristes une pratique plus sévère et assez dépendante de la sainteté du maître. Enfin par la tradition, le Qigong a repris une logique de généalogie des maîtres, du respect de l’ancêtre dans la culture chinoise. Ces trois formes sont celles que va épouser le charisme du maître selon la voie qu’il veut adopter, ou que le contexte lui dicte. 





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