Texte de Clémentine Cloutier
PALMER, David A., 2005, « La Fièvre du Qigong: guérison, religion et politique en Chine, 1949-1999 », Paris, Éditions de l’EHESS
Professeur à l’université de Hong Kong depuis 2008 en anthropologie et en sociologie, David A.Palmer est spécialiste de la religion, de la société et de la culture traditionnelle chinoise. Il a eu son doctorat à Sorbonne, Paris en 2002 et depuis a voyagé beaucoup et a participé à plusieurs recherches pour approfondir ses connaissances des transformations des traditions (surtout religieuses et spirituelles) de la Chine moderne.
En 2005, il publie le livre « La fièvre du Qigong : guérison, religion et politique en Chine, 1949-1999 » qui explique l’expansion exponentielle du Qigong et ses techniques qui « devinrent le véhicule de la forme d’expression religieuse la plus populaire de la Chine urbaine dans les années 1980 ». Ce livre est très objectif; l’auteur s’appuie sur plusieurs références chinoises pour nous donner un aperçu de la propagation du Qigong grâce à ses méthodes particulières, à ses grands maîtres nombreux et à l’idéologie véhiculée par ce dernier.
Nous allons nous concentrer sur son chapitre 3, la floraison des lignées. Dans une première partie, nous allons analyser les méthodes de transmission de cette culture corporelle et les caractéristiques générales des grands maîtres de l’époque. Ensuite nous allons étudier les différentes méthodes employées et transmises par ces maîtres. Et finalement nous allons voir ce qu’est une lignée de masse.
Pendant la Révolution culturelle (1966-1976), le Qigong a été persécuté en tant que superstition malgré l’appui de certains leaders pendant son début. Mais cette culture corporelle a continué de se transmettre dans des lignées de transmission souterraine. À la fin de la persécution du Qigong coexistent alors deux mondes : le monde du Qigong institutionnel, d’avant la révolution, et le monde populaire qui consiste en un Qigong développé pendant la Révolution. Plusieurs grands maîtres « sortent des montagnes » ayant appris la culture corporelle durant la Révolution culturelle. La transmission de celle-ci se faisait dans des réseaux familiaux, religieux, d’arts martiaux, dans des institutions médicales de l’État (après la Révolution), des formations pour médecins « aux pieds nus »... Palmer insiste sur le fait que la Révolution n’a pas empêché la transmission de ces techniques corporelles car même sans institution, cela se faisait clandestinement.
L’auteur établi une base de données comportant 554 maîtres de Qigong et constate qu’ils forment un groupe composé essentiellement d’homme (au moins 72%) qui ont passé la majorité de leur vie dans la Chine maoïste (1949-1976) et qui ont commencé/perfectionné leur apprentissage de la culture corporelle durant la Révolution culturelle alors que c’était interdit. Ces maîtres ont peu de lien avec les lignes traditionnelles du passé : quelques 30% revendiquent une initiation dans une lignée traditionnelle se réclamant d’une tradition médical ou martiale majoritairement.
Palmer nous indique ensuite ce que les méthodes de Qigong créées et transmises par certains grands maîtres ont en commun : un nom qui identifie la ligné du maître, une échelle de niveau, différentes techniques (gymnastique, méditation, techniques de respiration, incantations), des postures ayant un nom symbolique traditionnel, un enseignement théorique (concepts de base inspirés de traditions religieuses ou philosophiques chinoise). Par la suite, l’auteur nous décrit rapidement certaines de ces méthodes comme le « Qigong de la pensée du taiji » (méthode que l’auteur a pratiquée et en a ressentie les effets bénéfiques), le « Qigong du Lotus de sagesse »… Ces techniques et symboles permettent aux adeptes d’expérimenter des sensations corporelles et mentales nouvelles en pénétrant leur esprit.
L’auteur nous introduit alors sur les lignées de masse, différentes de celles d’avant la Révolution, où le maître de Qigong peut propager son savoir dans toutes les parties de la Chine en même temps grâce à un maître fondateur, une méthode, des outils de transmission (livres, vidéos…), d’un réseau de transmission (animateurs de groupes de pratiques dans les parcs), un réseau d’association, de cliniques… Une de ces lignées de Qigong est le « Qigong de la grande oie » créée en 1980 par une femme âgée de 80 ans, se disant héritière d’une lignée taoïste, une autre est « le Qigong des mouvements spontanés du Jeu des cinq animaux » popularisée par un champion d’arts martiaux…
Palmer ajoute finalement que grâce à la propagation du Qigong par ses adeptes et des malades guéris celui-ci, les pratiquants de cette culture corporelle sont estimés de 10 à 100 millions. Ils sont divisés en trois groupes selon le chroniqueur Zheng Guanglu : adeptes du Qigong pour rester en forme, pour se guérir, par simple curiosité.
En conclusion, David A. Palmer estime que de 1981 à sa fin en 1999, le monde de Qigong a sa forme définitive : espace public et légitime ouvert par des organisations semi-officielles nationales et locales, avec l’encouragement de dirigeants supérieurs du Conseil de l’État. Pendant cette période, le Qigong est devenu un mouvement populaire de masse, ses techniques se diversifient mais se rassemblent sous un front commun « Qigong » et constituent une communauté reconnue par l’État : en 1981, une réunion d’échange de techniques est organisée avec la démonstration de plusieurs maîtres populaires. Le Qigong, histoire d’amour entre une grande partie de la communauté scientifique chinoise et le monde des maîtres traditionnels prendra fin en 1995.
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