vendredi 8 mars 2013

Qigong, Falun Gong, et la religion de l’État moderne chinois


Texte de Jérémie Deschênes

OWNBY, David. « Qigong, Falun Gong, et la religion de l’État moderne chinois », Montréal, PUM, Sociologie et sociétés, vol XXXVIII.1,  2006, pp. 93-112. 

David Ownby est professeur titulaire du département d’histoire de l’Université de Montréal, ses sujets de prédilection gravitent autour des facteurs religieux et spirituel dans l’histoire de la Chine et leurs influences dans les rapports entre État et société. 

L’article « Qicong, Falun Gong, et la religion de l’État moderne chinois » a comme objectif de dépeindre l’évolution de la conception religieuse en Chine au XXe siècle, notamment dans l’optique de création d’une Nation « moderne ». Prenant comme figure de cas le Qicong et le Falun Gong, l’auteur retrace les continuités et ruptures des politiques adoptées par les gouvernements impériaux, républicain puis socialiste dans leurs tentatives d’encadrement et de contrôle des cultes en Chine. En adoptant une constitution calquée sur le modèle occidental de l’État-Nation, le gouvernement républicain y a vu l’opportunité d’affirmer son autodétermination aux yeux des puissances impérialistes ainsi qu’envers la communauté internationale. Un des points centraux de ce texte est l’affirmation selon laquelle le postulat définissant le facteur religieux en terre de Chine est incompatible avec l’environnement spirituel englobant et hétéroclite propre à la société chinoise. Ainsi, en effectuant des parallèles entre monarchie et socialisme, l’auteur démontre la continuité historique des rapports tendancieux entre État et sphères religieuses, notamment au sein de l’instrumentalisation de la « paranoïa » occidentale à l’égard du terrorisme. Au-delà des discours officiels se dégage avant tout une volonté affirmée de contrôle idéologique alimentée par l’anxiété identitaire du Parti Communiste Chinois. 



L’auteur avance que la division manichéenne entre superstitions et religions (entamée en 1912) est le fruit d’une incompréhension du caractère syncrétique de la spiritualité chinoise. La dichotomie entre le modèle constitutionnel et les traditions chinoises rend le dialogue impossible en ne prenant pas compte la multiciplité et l’hétérogénéité des groupes ésotériques et religieux. Cette classification du fait religieux était pour le gouvernement républicain, au même titre que la création d’une administration adéquate, une condition nécessaire à l’établissement de la « modernité ». Bien que considérant la religion comme une « aliénation des masses », la RPC conserva la définition républicaine et jusqu’aux années 50, resta relativement tolérante envers les mouvements religieux. Le PCC développa cependant un modèle institutionnel rigide applicable à toutes les instances religieuses voulant être tolérées sur le sol chinois. La création de ces structures avait comme objectif l’établissement d’interlocuteurs hiérarchiques pouvant se porter garant des mouvements religieux en question. L'institutionnalisation forcée et la répression des microcultes menèrent ultimement à une certaine destruction de la diversité spirituelle des localités. 

Établissant une continuité entre le « Lotus blanc » (terme utilisé par les mandarins impériaux), les « sociétés rédemptrices », le Qicong et le Falun Gong, l’auteur nous présente l’évolution d’une tendance visant la préservation culturelle des traditions religieuses reliées aux rituels physiques et ésotériques traditionnels. En tentant de les émanciper de toutes leurs facettes « superstitieuses » et en leur attribuant un caractère scientifique, les « gourous » du début du siècle permirent leur sauvegarde et leur diffusion au sein d’une élite influente. Le Qicong s’est donc développé grâce à un appui officiel renforcé par la découverte de l'existence matérielle du Qi.  

Alors considéré comme une « science chinoise », le Qicong se diffusa au sein de la population grâce à des « héros charismatiques » qui travestirent graduellement l’essence thérapeutique et laïque de son enseignement. S’en suivirent des mouvements de masses qui mobilisèrent des centaines de millions de personnes et qui connurent leur apogée dans la création du Falun Guong. Basé sur un culte messianique et un corpus sacré à caractère apocalyptique, le Falun Gong fut accepté par le gouvernement chinois jusqu’en 1999. La crainte de ce mouvement mena à une redéfinition de l’hétérodoxie ainsi qu’à plusieurs campagnes de répressions extrêmement brutales. Les élites du PCC portent aujourd’hui un regard sévère sur ce qu’ils considèrent comme une « perte de contrôle » sur la religion en Chine. 

En diabolisant intégralement le Falun Gong et en établissant une analogie avec les grandes mouvements sectaires, le gouvernement chinois entend orienter  l’opinion publique internationale et nationale en sa faveur, sans pour autant offrir de fondements justificatifs à ces répressions. Cette volonté de polarisation stabilisatrice entre « bonnes religions » et « mauvaises religions » ne prend cependant pas en compte les expériences modernes de confrontation politico-religieuses ayant mené à une multitude de confrontations au cours des dernières décennies.  Bref, cette utilisation d’un modèle obsolète et incompatible avec la culture chinoise est révélatrice d’une certaine angoisse idéologique qui, à force d’être confronté à d’autres schèmes de pensés, pourrais mettre à mal les bases doctrinales déjà extrêmement précaires de la République Populaire de Chine. 






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