dimanche 10 février 2013

Origines et actualité de la laïcité

Texte de Nezly Esseghir

Solange Lefebvre,  «Origines et actualité de la laïcité : lecture socio-théologique».
Théologiques, vol. 6, n° 1, 1998, p. 63-79.
 
Après un Doctorat en Théologie de l’Université de Montréal en 1992 et un Master en Anthropologie Sociale de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales de Paris en 1996, Solange Lefebvre est maintenant titulaire de la Chaire religion, culture et société depuis 2003, et fondatrice du Centre d’étude des religions de l’Université de Montréal, qu’elle a dirigé de 2000 à 2008. Elle est actuellement professeure à la faculté de théologie et de science des religions à l’Université de Montréal, et est une référence en matière de questions religieuses et de diversité culturelle.
 
Dans cet article, l’auteure émet la thèse qu’à l’heure actuelle, en Occident, on en est toujours à une opposition entre clercs et laïcs, du moins entre religieux et non religieux, et que ni l’un ni l’autre n’ont disparu. Elle se propose de le démontrer en donnant une vision des manifestations visibles qui traduisent la présence des deux et leur opposition qui perdure.

 
Avant de procéder à la démonstration, l’auteure commence par donner les différentes définitions connues du terme. Elle nous apprend que la laïcité, en théologie, renvoie à une idéologie de forme de gouvernance spécifique à la France, et qui se traduit notamment dans la relation des gouvernants à la société civile. Au sens large et commun, la laïcité renvoie à la séparation du pouvoir politique, l’État,  du pouvoir religieux, l’Église. Enfin, la laïcité renvoie également à l’émancipation de la société de la tutelle religieuse. C’est dans ce contexte qu’on retrouve le concept de sécularisation, où il est question d’une remise en question de l’ingérence de la religion au cœur de la vie sociale.
 
Ces définitions, à ce stade de la démonstration, sont indispensables, car elles permettent de clarifier non seulement la signification du concept objet du débat, de repositionner le concept dans son sens actuel, mais aussi et surtout de mettre en lumière tous les enjeux que le débat soulève.
 
L’auteure procède ensuite à une revue historique du concept de laïcité et le resitue dans le contexte de son évolution. Selon elle, la laïcité évoque le pôle laïc, historiquement en opposition au pôle clérical du catholicisme, un dualisme structurel entre réalité spirituelle et réalité temporelle, où le temporel, laïc, séculier, se trouve subordonné au spirituel, religieux. Cette dualité prend davantage un sens politique dans la conception chrétienne du monde comme espace au détriment d’histoire, ce qui a favorisé le départage de l’espace social entre le sacré et le profane, se répercutant sur les rapports entre Église et État.
 
La revendication de cette séparation vient des clercs eux-mêmes, à la fin du XIe siècle, début XIIe, et est à l’origine du début de l’opposition des laïcs aux religieux. À partir de la fin du Moyen Âge, le terme laïc prend son sens juridique de « celui qui n’appartient pas au groupe de ceux qui ont l’autorité sacrée ». Le sentiment anticlérical prend ses racines à cette époque, en grande partie en raison de la contestation des finances que s’arroge l’Église.
 
Tour à tour, les laïcs sont Humanistes ou Citoyens, durant la Renaissance, ou hérétiques, à l’époque médiévale, dont notamment les Cathares, qui prêchent une doctrine d’individualisme. Ils ont tôt fait de susciter l’inquiétude à la fois des princes et des religieux, chacun voyant dans leur doctrine la perte de leur pouvoir sur la société civile. Cette époque marque d’ailleurs le début du déclin de l’autorité de l’Église et l’affaiblissement de ses fonctions sociales, notamment par la perte de son contrôle de l’éducation des masses, les hérétiques étant les premiers à contrôler leurs écoles. 
 
C’est à partir de là, puis aux XVIe et XVIIe siècles, sous l’impulsion des hérétiques, que la laïcité trouve ses origines dans la lutte pour le pouvoir. S’en suivent aux XVIIIe et XIXe siècles l’Humanisme et les Lumières, qui donnent à la laïcité tout son sens politique et mettent fin à tout concept de subordination dans la laïcité.
 
Ces éclaircissements historiques sur l’évolution du concept permettent de comprendre la mutation du sens de la laïcité et de ses acteurs, et démontre comment cette référence se traduit dans les rapports modernes de pouvoirs.
 
La laïcité moderne consiste à construire le spirituel de la société en dehors des églises, et à reconnaître l’extériorité de la définition des valeurs sociales. Malgré l’attachement de la majorité des gens à leur culture religieuse, l’individualisation de la demande religieuse a provoqué une mutation du statut de la tradition et donc de la religion : elle est devenue un patrimoine non pas sacré mais à la disposition de l’individu. C’est de cette extériorité qu’a découlé la désinstitutionalisation du religieux. Cette émancipation de l’individu par rapport à la religion a pour conséquence directe que la société se soit dispensée de la validation des valeurs qu’elle se définit à elle-même.
 
C’est pourquoi, selon l’auteure, le vrai débat aujourd’hui ne se situe plus dans la laïcité, mais bien dans la désinstitutionalisation des religions historiques. Le laïc et le religieux se disputent aujourd’hui l’espace sacré. Avec la sacralisation de la laïcité de l’État, ce dernier devient le rival des institutions religieuses dans la course à l’espace sacré.
 
De là, l’auteure tente, avec succès, un parallèle avec le concept de sécularisation. La différence qui demeure selon l’auteure entre la sécularisation Nord-Américaine et la laïcité Européenne est que la première renvoie à un consensus idéologique et la seconde à une division idéologique. L’auteure soulève cependant le cas particulier du Québec, où l’individu n’est plus rattaché à sa seule religion historique, racine culturelle, mais qui s’attache, des religions, celles qui répondent le mieux à son besoin du moment.
 
Et c’est ici que la démonstration de l’auteure prend tout son sens. Le vide moral créé à la fois par le retrait de l’Église et par les critiques de la société moderne, consumériste et individualiste, profite à un retour vers les institutions religieuses historiques, de même qu’une orientation vers les religions et croyances des sociétés autres. C’est ici-même que la présence du laïc, ou de l’areligieux, et du religieux se manifeste. Et c’est ici, aussi, que se manifeste encore leur opposition, leur course au contrôle des espaces de pouvoir.

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